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Howard Buten : "Ces enfants qui ne viennent pas d’une autre planète : les autistes "

dimanche 10 novembre 2013

Les enfants autistes que j’ai rencontrés, j’ai pensé qu’ils avaient une culture à eux._
Qu’ils chantonnaient une musique à eux, qu’ils faisaient des bruits et c’était leur langue à eux, qu’ils se balançaient et c’était leur danse à eux. Bizarre, quoi, un peu comme s’ils venaient d’un autre pays - et même d’une autre planète. Mais justement non, ce qui est bien, c’est qu’ils sont de chez nous. On les a sous la main. Ils ont forcément plein de choses à nous apprendre, même quand ce qu’ils font nous effare. Faut savoir en profiter.


On est tous différents. On bouge pas pareil, on s’assied pas pareil, on parle pas pareil ; on a pas le même air. Tous, on est différents. Et puis, un jour, on rencontre quelqu’un qui est encore plus différent que tous les autres. Un enfant, par exemple. Des enfants comme ça, si différents de tous les autres qu’on dirait qu’ils viennent d’une autre planète, il y en a. J’en ai rencontré.

C’était il y a dix-sept ans. Un jour, j’étais tout seul dans une salle d’attente. C’est normal : j’attendais. Je tapotais le rebord de la chaise, comme on fait des fois, quand on est tout seul. Je regardais à gauche et à droite. Et, comme je sifflotais pour faire passer le temps, le temps passait. Brusquement, un enfant a fait irruption dans la salle d’attente. Un petit garçon - mais on aurait cru un petit train. Il ne m’a pas dit bonjour. Il faisait comme si je n’étais pas là. Il a couru jusqu’au milieu de la pièce, s’est laissé tomber par terre, les jambes étendues droit devant lui, les mains entre les jambes, et il s’est mis à se balancer d’avant en arrière et d’arrière en avant, très fort, très vite, comme un essuie-glace sur un pare-brise. Ou comme ces espèces de chevaux à bascule qu’on voit quelquefois devant les supermarchés. Mais moi je savais bien que c’était pas un cheval à bascule, comme on voit quelquefois devant les supermarchés. Il avait pas de fente pour mettre la pièce. C’était un enfant.

En se balançant, il faisait des bruits avec sa bouche. On aurait pu croire qu’il chantonnait mais c’était pas vraiment une musique. Ça me rappelait le bruit de la machine à laver quand on met trop de linge dedans : chhhh boum-boum chouk-chouk chhhh mmmmmh. Sans arrêter de se balancer en faisant sa musique de machine à laver, il a levé une main devant ses yeux, il a regardé ses doigts très fixement et il s’est mis à les remuer comme des ailes de papillon. Il louchait un peu. Son autre main, il l’a mise dans sa bouche et il l’a mordue. Mais ça n’avait pas l’air de lui faire mal.

C’était un beau petit garçon. Mince, mais costaud. Il était habillé comme tout le monde, coiffé comme tout le monde. Mais alors ses yeux... tout grands, tout ronds, tout étonnés. Surpris, étonnés tout le temps. (Franchement, il n’y avait rien d’étonnant dans cette salle d’attente - sauf lui, peut-être !) Et j’ai pensé : c’est un petit garçon tellement étonnant qu’il s’étonne lui-même. Il se fait sans arrêt la surprise d’être lui. Ça m’a fait sourire. C’était la première fois que je rencontrais un enfant étonnant, un enfant-surprise.

Soudain, il s’est levé. Il a couru à travers la salle d’attente, il s’est jeté par terre, il s’est relevé, il a recommencé une ou deux fois et puis il s’est tourné vers moi. Il m’a regardé. On ne m’avait jamais regardé comme ça. Ses yeux faisaient comme le projecteur de diapos, en classe - mais il n’y avait pas de diapos. Il me regardait, très fort, sans bouger. Et je me suis dit : la diapo, c’est moi.

Ensuite, il s’est mis à tourner sur lui-même, les bras écartés, en criant, comme un manège dans une fête foraine. Il tournait très vite. Ça a duré longtemps. Moi, je le regardais. (C’est chouette, les fêtes foraines et, en même temps, il y a des choses qui vous flanquent la trouille. Le train fantôme, les manèges qui font un ramdam pas possible et qui vont trop vite.) Je ne savais pas quoi faire. C’était mon premier enfant-fête foraine.

Et puis voilà, il est reparti. J’étais de nouveau seul dans la salle d’attente. Mais le temps ne passait plus. Il me restait en travers de la gorge. Un gros morceau mal mâché. Je me sentais drôle. Un frisson, une espèce de chatouille dans mon ventre. C’était pas la première fois. Depuis tout petit, il y a des choses, quand je les vois, je me sens drôle. Ça doit arriver à tout le monde. Le morceau de papier qui s’envole tout seul, dans la rue, dans le vent, sous votre nez. Ce que les écureuils font avec ces petites mains qu’ils ont, quand ils croquent une noisette. Ou quand on chante, tout seul, dans la rue, en rentrant de l’école et que, tout à coup, un klaxon joue exactement la note qu’on est en train de chanter.

Ce petit garçon, il m’avait donné l’impression que ce qu’il faisait, je le savais déjà, je le connaissais sans le connaître - c’était comme si je le faisais avec lui, sans le faire. Et puis, heureusement, celui que j’attendais dans la salle d’attente où le temps ne passait plus est venu me chercher pour me faire visiter les lieux. Les lieux, c’était un hôpital de jour. Il y avait plein de salles et un grand couloir, ça ressemblait plus à une école qu’à un hôpital. Mais, dans chacune des salles, il y avait des enfants comme le petit garçon que j’avais rencontré dans la salle d’attente. Le monsieur que j’attendais était, médecin. Il m’a dit que ces enfants-là étaient malades, que c’étaient des handicapés mentaux - que ça n’allait pas dans leur tête, qu’ils n’étaient pas bien. Il a dit :

 Ce sont des enfants autistes.

Les enfants autistes que j’ai rencontrés, j’ai pensé qu’ils chantonnaient une musique à eux, qu’ils faisaient des bruits et c’était leur langue à eux, qu’ils se balançaient et c’était leur danse à eux. Bizarre, quoi, un peu comme s’ils venaient d’un autre pays - et même d’une autre planète. Mais justement non. Ce qui est bien, c’est qu’ils sont de chez nous. On les a sous la main. Ils ont forcément plein de choses à nous apprendre, même quand ce qu’ils font nous effare. Faut savoir en profiter. Les gens qui viennent d’un autre pays et qui ne sont pas comme nous, admettons, ça se comprend. Mais les autistes, puisqu’ils sont de chez nous, pourquoi sont-ils tellement différents ?

Pourquoi sont-ils autistes, les autistes ? C’est la question que j’ai posée au médecin qui me faisait visiter son hôpital. Il a eu l’air gêné comme tout. Il a répondu :

 Je ne sais pas.

Le boulot des médecins, c’est pourtant de savoir pourquoi les malades sont malades, et ce qu’il faut faire pour les guérir, Pour qu’ils ne soient plus malades. Quand on a mal à la gorge, de la fièvre, les amygdales gonflées, le médecin qu’on va voir a appris à l’école de médecine que cette maladie-là s’appelle une angine et qu’il existe des médicaments pour la soigner. Le médecin qui me faisait visiter l’hôpital s’occupait des malades mentaux (on dit aussi les fous.) C’était un psychiatre. Iatre veut dire médecin et psy l’esprit, ce qui se passe dans la tête.

C’était un médecin de l’esprit.

 Je ne sais pas pourquoi les autistes sont autistes, a repris le médecin de l’esprit, mais certains croient le savoir.

Il était gentil, ce médecin. Il avait l’air intelligent. Il m’a expliqué qu’on les appelle des enfants autistes parce que aut ça veut dire soi-même et iste, ça veut dire avoir surtout un rapport avec. (Un garagiste, par exemple, c’est quelqu’un qui a surtout un rapport avec un garage.) Un autiste, c’est quelqu’un qui a surtout un rapport avec lui-même, au lieu d’avoir des rapports avec les autres. Les autistes font comme s’ils étaient tout seuls, même quand il y a plein de gens autour d’eux. Les gens qu’il y avait autour des autistes, à l’hôpital de jour, avaient l’air gentil. Ils m’ont dit bonjour et ils m’ont présenté aux enfants autistes.

Tous les enfants de l’hôpital de jour faisaient comme le petit garçon de la salle d’attente - chacun avec des gestes et des bruits personnels. Je les ai regardés. Il y avait une fille très, très jolie, les yeux bleus, de longs cheveux blonds. Elle était toute seule dans un coin. Elle gigotait les mains sous ses yeux, comme quelqu’un qui tricote, mais sans pelote et sans aiguilles. Elle aspirait de grandes bouffées d’air, comme un plongeur avant de plonger dans l’océan. Mais le seul océan qu’il y avait, c’était une baignoire, j’ai bien vu.

Il y avait un autre enfant, un garçon, un peu plus grand, qui faisait sans arrêt le tour de la pièce en parlant tout seul. Il parlait rudement bien ! On aurait dit une radio. D’ailleurs, il ne disait que des choses qu’on entend à la radio : des pubs, avec les chansons et tout. J’ai failli demander s’il avait avalé un transistor, mais j’ai pas eu besoin, parce que toutes les informations qu’il donnait avaient au moins trois jours.

J’ai vu aussi un petit Noir, assis par terre, sous une table. Il tenait une ficelle, un bout entre les dents, l’autre dans les doigts. Sur la ficelle, enfilés, il y avait une clé, une bobine de fil et un élastique. Il les faisait tourner avec l’autre main. (Moi, au cirque, j’avais vu un jongleur qui faisait tourner des assiettes sur des bâtons. Mais il en a fait tomber cinq ou six. Le petit Noir, sous la table, il n’a rien fait tomber.).

Dans un coin, un autre petit garçon ne bougeait pas du tout. On aurait dit une statue. D’un seul coup, il a poussé un grand cri, s’est tourné vers le mur et il s’est mis à le cogner avec son front. Tellement fort, et en hurlant, que j’ai cru que sa tête allait éclater. Quelqu’un est venu l’en empêcher. Sinon il aurait pas arrêté. Il était couvert de bleus sur la figure. C’était impressionnant. T’en avais d’autres qui se tapaient tout seuls sur la tête et ils devaient se faire mal aussi. Certains rigolaient, mais aucun ne pleurait. Ça m’a fait froid dans le dos.

Près d’une fenêtre, il y avait une autre petite fille. Une brune très jolie. Elle déchirait une grande feuille de papier. Elle en faisait des bandes, très soigneusement, qu’elle tortillait ensuite entre ses doigts en les faisant tourner. J’ai pensé : elle est en train de se fabriquer des petits hélicoptères. Les yeux ouverts tout grands, elle les lançait en l’air et elle chantait une chanson magnifique, sans paroles. On aurait dit une flûte.

C’était beau, tout ça !

 Qu’en pensez-vous ? m’a demandé le médecin.

J’ai regardé les petits hélicoptères en papier s’envoler en tournoyant sur un air de flûte ; j’ai écouté le petit garçon-transistor ; j’ai examiné le jongleur, sa clé, sa bobine et son élastique. Et j’ai revu aussi tous ceux qui se frappaient sur la tête ou la cognaient contre les murs...

 Il doit y avoir quelque chose, je lui ai répondu. Vous dites qu’ils ne sont pas bien, mais moi, je les trouve chouettes comme tout, ces enfants. Même celui qui se cogne contre le mur. Il faut s’occuper de lui, c’est tout Ça doit pas être facile, mais moi, ça me plairait bien de m’occuper de lui, même si j’ai un peu peur !

On dit, que les gens qui voient les enfants autistes pour la première fois, ils en ont peur. Je sais bien qu’on a souvent peur des choses et surtout des gens très différents. Une drôle de couleur de peau, une langue bizarre qu’on ne comprend pas, des fringues qui n’ont rien à voir avec les nôtres. Mais enfin, les gens différents, ils doivent nous trouver bizarres aussi, non ? On doit leur flanquer une sacrée frousse. Et nous on sait bien qu’il n’y a pas de quoi.

C’est des bêtises, tout ça ! Il ne faut pas avoir peur des gens sous prétexte qu’ils sont différents et il faut surtout pas avoir peur des autistes ! Ils ne sont pas dangereux.

Informations

  • Livres ?

    Voilà, nous avons choisi 200 livres. Certains peuvent apparaître comme ayant bien leur place dans cette « Malle Mutins, Mutants, Sales gosses... » mais peut-être avons-nous commis des erreurs.

    Il faut dire que l’on a eu très peu de temps pour que les Malles soient prêtes pour la rentrée.

  • Documents ?

    Mais il n’y a pas que les livres pour explorer un monde de questions... D’autres documents peuvent nous aider.

    Et puis, durant des années, des centaines d’enfants ont travaillé sur des sujets tout proches. Ces travaux, ils vous sont proposés comme aide à d’autres réflexions, d’autres compréhensions...

  • Activités ?

    Des livres, des documents... Pour en faire quoi ?

    Vous trouverez ici un catalogue d’activités possibles. Des enfants les ont déjà essayées et vous proposent avec leurs mots comment les réaliser.

  • Auteurs ?

     Direction des Affaires Scolaires de la Ville de Paris
     Centre Paris Lecture
     Animatrices et animateurs Lecture de la Ville de Paris

     Réalisation technique : Robert Caron
     Bandes dessinées : Boutanox

    Remerciements aux participants de la liste Spip et tout particulièrement à Bernard Blazin et Maïeul Rouquette..

  • Informations ?

    20 malles thématiques pour tout Paris (5 sur le thème de l’Art, 5 sur Vivre ensemble, 5 sur Environnement, 5 sur Mutins, mutants).

    Dimensions des malles : la malle contient 4 cubes métalliques de couleurs vives
    Lieu de stockage : centre de ressources « Paris lecture » – 40, rue Corvisart – 75013

    Contenu : 160 à 200 livres en lien avec le thème, 5 tablettes numériques pour documents complémentaires et récolte des travaux des enfants.

    Disponibilité : le CPL prévoit un accompagnement correspondant à 3 types d’usages :
     utilisation des malles sur des sites désignés par les CAS/PE sur des périodes de l’ordre de 6 semaines avec animateur CPL. Intervention sur les temps péri et extra scolaires et temps ARE ;
     utilisation des malles dans le cadre des nouvelles actions lecture scolaires avec liens renforcés sur le périscolaire, CLSH et ARE ;
     utilisation des malles avec les animateurs volontaires qui souhaiteraient s’impliquer dans un "Comité de pilotage des Malles".

    Remarque : les porteurs de projets peuvent avoir une idée du contenu de chacune des malles en consultant les sites suivants :
     http://malle-arts.org
     http://malle-ensemble.org
     http://malle-environnement.org
     http://malle-mutins.org

M-à-J : mardi 10 juillet 2018